ESTHER ET LE FÉMINISME

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Pour notre premier séjour en Italie nous avons été accueilli par une femme incroyable, Esther.

 - ESTHER -
Je veux vous parler d'elle, car je la trouve vraiment courageuse et inspirante. Avant d'arriver en Italie, cette Suisse vivait en roulotte et partait parfois en voyage l'hiver. Elle a vécu de cette façon avec une dizaine d'amis qui avaient également leur propre roulotte.

Après 15 années d'itinérance, avec sa spontanéité assumée, Esther s'est lancée dans une nouvelle aventure : celle d'acheter et rénover une ancienne maison italienne. Et cela bien sûr sans connaître ni la langue, ni aucune personne vivant en Italie.
Affectionnant son indépendance et la liberté, elle a mené ce superbe projet seule. Je souligne ce point qui peut paraître un détail mais qui n'en est malheureusement pas un. Lorsqu'une femme vie seule, certains personnes ont des idées reçues. Ainsi, malgré sa joie de vivre et sa sociabilité, elle s'est heurtée à de nombreuses remarques, regards voire même des personnes qui ne voulaient pas lui adresser la parole ! Esther n'a pas baissé les bras et a continué à fréquenter les bars pour discuter avec les gens de sa région. C'est de cette façon qu'elle a pu apprendre la langue et surtout rencontrer ses amis actuels.
Cependant, encore aujourd'hui elle se heurte à cette misogynie. Certaines fois, le fait d'être une femme la handicape, la décrédibilise. Elle nous a raconté qu'il lui ai arrivé de faire appel à un homme pour rénover une partie de sa maison, mais celui-ci a refusé de l'écouter. Elle a été obligée d'appeler un ami pour lui faire appliquer ses consignes.
En aucun cas je n'en fais une généralité quant à la gente masculine, et bien heureusement. 😊 Cette histoire met en lumière les difficultés que cette femme a vécu, qu'elle vit encore et qui peuvent également arriver à bien d'autres. Étant une femme, j'ai également dans ma vie fait face à de la misogynie; et je pense profondément que toutes les femmes, ont été victime un jour de ce genre de discrimination.
Il est important d'en parler car c'est par la communication de ces faits anormaux que l'on participe au recul de la vision archaïque portée sur les femmes.

- DES SORCIÈRES MODERNES -
Cette histoire de femme choisissant de vivre seule fait écho à un livre très intéressant "Sorcières, La puissance invaincue des femmes", écrit par Mona Chollet. Le travail de cette essayiste porte sur la condition féminine. Dans son dernier livre, dont je vous parle ici, elle explore l'image de la sorcière dans l'Europe de la Renaissance et ses conséquences sur la femme indépendante d'aujourd'hui : la femme célibataire ou veuve, la femme sans enfant et la femme âgée.

Dans le premier chapitre traitant des femmes seules, elle évoque la peur et la sensation de déséquilibre que provoque une femme indépendante, sans subordination masculine. Ainsi, des techniques se mettent en place dans notre société pour les y faire renoncer, comme le dénigrement de leur apparence : "Les revendications féministes ne feraient que dissimuler l'aigreur et la frustration de laiderons" (p43), ou alors en leurs donnant une image d'assistée : "Durant sa campagne pour devenir gouverneur de la Floride, en 1994, Jeb Bush estimait que celle qui touchait l'aide sociale feraient mieux «de prendre leur vie en main et de trouver un mari»." (p46).
La menace d'une vie ratée qui suscite la peur est également utilisée : "Elle redoute le crépuscule, ce moment pénible où l'obscurité enveloppe la ville et où les lumières s'allument une à une dans les cuisines chaleureuses" (p59).
De plus, l'image de la femme à chat est encore largement répandue : "le chat est l'« esprit familier » [...] attitrée de la sorcière" (p57).
Dans cette partie, elle mentionne également des revendications et avancées du féminisme comme l'utilisation de l'acronyme "Ms" sur les documents fédéraux américains ; un titre qui ne désigne aucun statut matrimonial.

Le second chapitre évoque les difficultés des femmes ne voulant pas d'enfant à se faire accepter. Selon une image archaïque de la femme, son identité profonde serait celle de vouloir des enfants et de les élever. "Nous avons pris l'habitude de considérer des métaphores comme «l'horloge biologique» [...] comme de simples descriptions, neutre et factuelles, du corps humain." (p104).
Les militants anti-avortement, le catholicisme ainsi que la société en général utilisent contre les femmes sans enfant les mêmes armes que pour les femmes célibataires : la peur, la culpabilité, le chantage et le dénigrement.
De sorte que celles-ci ne seraient que des égocentriques, remplies de haine et d'amertume envers les mères et les enfants, "telles les sorcières dévorant à belles dents de petits corps rôtis durant le sabbat" (p110). Elles mourront seules, tristes et pleines de regrets, ayant eu une vie vide de sens.


Comme vous l'imaginez, la vérité est tout autre 😌. Les raisons sont bien sûr différentes pour chaque femme mais des volontés se recoupent.
Certaines suivent leur soif de liberté, de spontanéité et d'épanouissement personnel. "Ce choix [...] autorise l'excès, la démesure : une orgie de temps à soi et de liberté, que l'on peut explorer, dans lesquels on peut se rouler à en perdre le souffle" (p95-96).
L'autrice parle aussi d'un acte d'émancipation et d'égalité face aux hommes. Le motif peut être aussi simplement d'ordre économique.
La crise écologique présente et future peut également refroidir toute envie de progéniture. Mona Chollet témoigne : "je ne pourrais pas ajouter un membre à la société alors que celle-ci a si spectaculairement échoué à établir un rapport harmonieux à son milieu vital et semble si bien partie pour le détruire tout à fait" (p99).

Dans le troisième chapitre, l'essayiste examine la vision de la société sur la femme âgée, comme déchue du genre féminin. Telle une marchandise, elle serait sujette à l'obsolescence programmée.
En effet, avec le temps, la femme perdrait ses principaux atouts : sa beauté et sa fécondité. Mona Cholet démontre que seul le vieillissement des femmes est considéré comme laid ; les cheveux blancs sont acceptés chez la gente masculine comme un signe de sagesse mais considérés chez les femmes comme une forme de "laisser-aller". Elle est alors considérée comme un être asexué, qui doit renoncer à sa sensualité et au désir de séduction.
Derrière ces préjugés, se cache une peur, "la peur que suscite toujours une femme lorsqu'elle « n'existe pas uniquement pour créer d'autres êtres et prendre soin d'eux, mais aussi pour se créer elle-même et prendre soin d'elle-même » " (p145). Car, en vieillissant, une femme s'affirme, découvre sa sexualité, ne se soumet pas et abandonne ses peurs.
Ainsi, lorsqu'une femme mature manifeste ses convictions, l'autrice explique qu'elle est facilement considérée comme une mégère, une arrogante, une harpie :
"Si les chasses aux sorcières ont particulièrement visé des femmes âgées, c'est parce que celles-ci manifestaient une assurance intolérable." (p156).

- UNE ENTRAIDE ET UNE RÉVOLTE DES FEMMES -
Partout dans le monde, des femmes se réunissent, échangent sur leurs oppressions, se libèrent de leurs peurs et font connaître leur désaccord.
Ce mouvement se présente sous différentes formes : des associations féministes luttent pour faire reculer ces inégalités de genres (par exemple en France, le Planning Familial et le Collectif national pour les droits des femmes). Dernièrement, le mouvement #NousToutes a organisé des manifestations contre les violences faites aux femmes, le 8 mars (lors de la journée internationale des droits des femmes) et le 23 novembre 2018. Elles préparent en ce moment une rencontre nationale, les 6 et 7 juillet, pour organiser la prochaine marche du 23 novembre 2019 (pré-inscriptionnscription ici si cela vous intéresse, femmes et hommes bienvenus 😉).
D'autres réunions, davantage ritualisées, sont réservées aux femmes (comme les cercles de femmes ou encore les tentes rouges). Ces lieux permettent aux femmes de s'exprimer en non mixité.
Sur les réseaux sociaux, beaucoup d'échanges se construisent autour de témoignages. Sur Twitter, les célèbres hashtags #BalanceTonPorc et #MeToo ont fait énormément réagir. Sur Facebook, de nombreux groupes féministes ouverts aux femmes et aux hommes se mettent en place (je connais par exemple les groupes "Répondons !" et "Les féministes par inadvertance").
Dans le milieu culturel, le féminisme est également présent. Je peux vous citer le roman "Les morues" de Titiou Locoq, l'essai "Beauté fatale, Les nouveaux visages d'une aliénation féminine" de Mona Cholet ou encore la bande dessinée "Le vrai sexe de la vraie vie" de Cy.



J'aimerais conclure cet article par une citation choisie par Mona Cholet; elle provient de Susan Sontag, une essayiste militante américaine. En espérant qu'elle vous inspire. 😉
"Les femmes ont une autre option. Elles peuvent aspirer à être sage, et pas simplement gentilles ; à être compétentes, et pas simplement utiles ; à être fortes, et pas simplement gracieuses ; à avoir de l'ambition pour elles-mêmes, et pas simplement pour elles-mêmes en relation avec des hommes et des enfants. Elles peuvent se laisser vieillir naturellement et sans honte, protestant ainsi activement, en leur désobéissant, contre les conventions nées du « deux poids, deux mesures » de la société par rapport à l'âge. Au lieu d'être des filles, des filles aussi longtemps que possible, qui deviennent ensuite des femmes d'âge moyen humiliées, puis des vieilles femmes obscènes, elles peuvent devenir des femmes beaucoup plus tôt et rester des adultes actives, en jouissant de la longue carrière érotique dont elles sont capables, bien plus longtemps. Les femmes devraient permettre à leur visage de raconter la vie qu'elles ont vécue. Les femmes devraient dire la vérité." (p176).

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/BIBLIOGRAPHIE ET RÉFÉRENCES/
Mona Cholet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes, 2018
Mona Cholet, Beauté Fatale, les nouveaux visages d'une aliénation féminine, 2015
Titiou Lecoq, Les Morues, 2011
Cy, Le vrai sexe de la vraie vie, 2016

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